La proposition de loi n°1635 déposée par la Député EELV Laurence Abeille, qui vise entre autres à inscrire le principe de modération concernant l’exposition aux radiofréquences des populations et une meilleure transparence quant aux implantations des antennes-relais, ne fait pas le bonheur des opérateurs télécoms et des différentes fédérations du numérique qui les représente qui vont peser de tout leur poids pour que cette loi ne voit pas le jour.
Un communiqué (version PDF) de la Fédération Française des télécoms dont pas moins de 7 autres fédérations du numérique (AFDEL, FIEEC, GITEP, SFIB, Simavelec, Syntec Numérique, USPII) s’associent pour remettre en cause la pertinence de l’initiative parlementaire du groupe EELV. Je ne ferais pas de commentaire sur ces organisations ne les connaissant pas personnellement à part peut être la SYNTEC qui participe a l’exploitation des informaticiens via une convention collective des plus déplorable mais ça sort un peu du cadre des ondes. Donc premier reproche fait à cette loi de manière générale en préambule, c’est « de susciter peurs irraisonnées, tensions et contentieux autour des réseaux et des services numériques mobile et sans fil », ça rappelle un peu les peurs irrationnelles que Fleur Pellerin avait évoqué lors de la PPL531. Il est vrai que l’obscurantisme qui règne dans le cadre des installations d’antennes-relais favorise la joie et la bonne humeur parmi les proches riverains et qui ne vont surtout pas faire de recours devant la justice pour bloquer ces installations, autant dire que la transparence n’est pas au goût de ces acteurs du numérique …
On va passer le couplet sur l’auto congratulation, les numériques sont les plus beaux et les plus forts, et que si cette proposition de loi passe, ça va jeter l’opprobre sur ce secteur, pour aller directement à l’argumentation en défaveur des articles de loi. On commence donc avec une question de sémantique que pose l’article 1, faut-il utiliser le mot « modération » ou « maîtrise » dans le contexte suivant :
En effet si à l’avenir cette proposition de loi est adoptée, le justiciable pourra très bien se retourner contre les propriétaires de station de base et invoquer selon le cas échéant, la non-maîtrise ou la non-modération de l’exposition, autant dire que les deux termes sont assez flous et je plains le juge qui va devoir se coltiner ce genre d’affaire. Même si on peut reconnaître qu’il y a une graduation entre les deux termes, un peu plus fort pour la modération, il n’en reste pas moins que ça sera compliqué à déterminer si oui ou non une exposition rentre dans le cadre de cette loi quel que soit le terme employé. C’est ni plus ni moins la résultante d’un refus de la majorité d’imposer des normes chiffrées plus restrictives qu’elles ne le sont à l’heure actuelle et qui va laisser la libre appréciation de ce texte à la juridiction concernée. Autre fait notable concernant cette querelle de clocher, c’est la confirmation que ces fédérations ont activé leurs réseaux afin de faire du lobbying et j’en veux pour preuve l’amendement déposé par le député Bertrand Pancher qui reprend la même argumentation dans l’amendant CD27 déposé dans le cadre de la commission du développement durable et défendu par les députés Lionel Tardy et Alain Gest durant les discussions.
Le deuxième grief concerne « le renforcement des dispositifs d’information et de concertation » qui ne doivent pas « remettre en cause la répartition des rôles, fixée par le Conseil d’état, entre les maires et les autorités de l’État (ministre, ARCEP et ANFR) ». Pour résumer, la législation en vigueur rend les maires pieds et poings liés sur les implantations d’antennes-relais au grand dam des leurs concitoyens qui se retrouvent sans aucun recours autre que de se retourner vers un tribunal administratif à cause de la décision du Conseil d’état suivante :
- Le Conseil d’État juge que seules les autorités de l’Etat désignées par la loi (ministre, ARCEP, ANFR) sont compétentes pour réglementer de façon générale l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile.
- Un maire ne saurait donc réglementer par arrêté l’implantation des antennes relais sur le territoire de sa commune, sur le fondement de son pouvoir de police générale.
- Le Conseil d’État précise en outre que le principe de précaution ne permet pas à une autorité publique d’excéder son champ de compétence.
On peut clairement se poser la question sur la pertinence de ce jugement, outre l’aspect onde des antennes-relais, elles sont parfois implantées dans des zones résidentielles et ont un impact sur le foncier non-négligeable puisque dès l’apparition des pylônes auto-portés une perte de valeur est constaté sur les biens limitrophes. Ajouté l’impact sur le paysage, même si certaines sont camouflées, on se demande pourquoi les maires n’auraient pas leur mot à dire sur le sujet quand on sait qu’ils ont tous les droits sur les autres constructions. Ajouté à cela que le rapport du COPIC a traité le sujet et a fait des recommandations qui abondent dans le sens de la concertation (P.96):
- rendre obligatoire le contact écrit des opérateurs avec le maire dès la phase de recherche d’un projet
- rendre obligatoire la transmission d’un dossier d’information sur tout projet d’antenne relais par l’opérateur à la mairie, un mois avant le dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme, délai pouvant être porté à deux mois à la demande écrite du maire.
- généraliser les instances de concertation départementales présidées par le préfet de département, qui deviendront des instances de médiation
- informer systématiquement les occupants du bâtiment lors d’une implantation d’antenne relais de téléphonie mobile, dans un délai maximum de quinze jours avant l’installation de l’antenne
Dans la foulée il est évoqué la question des points atypiques désigné par PPE dans le rapport du COPIC qui décrit les points les plus exposés, c’est-à-dire là ou l’exposition aux ondes est supérieur à la moyenne. La encore la Fédération Française des Télécoms considère que « les dispositions sur les points atypiques ne sont pas conformes à la recommandation 2013 de l’ANSES et aux travaux du COMOP/COPIC sur ce sujet, et risqueraient de revenir de fait à un abaissement des valeurs limite avec des conséquences majeures pour la couverture et la qualité de service des réseaux comme l’ont démontré ces travaux ». Logiquement quand on demande à ce que des recommandations n’y figurent pas, c’est un peu normal que l’on ne les trouve pas dans les recommandations, je vous en laisse juge (P.176):
La FFTélécoms tient à ce que le projet de rapport soit amendé sur trois sujets (2ème
partie) :Corriger toute phrase indiquant ou laissant entendre que l’exposition sera réduite ou doit être réduite dans l’ensemble des Points Plus Exposés (PPE) (§ 2.1)
Pour finir avec ce qui chagrine les lobbys du numérique, « la multiplication des contraintes imposées aux appareils WIFI et aux objets connectés constituerait un frein à l’innovation pour un secteur porteur sur lequel se positionnent de nombreuses entreprises technologiques françaises et entraînerait un appauvrissement de l’offre pour les consommateurs français ». Pour information les seules restrictions techniques sur les appareils émettant du WIFI dans la proposition de loi concernent la mise en place de solution technique de désactivation simple pour le Femtocell et les modems ADSL, ce qui est déjà le cas la plupart du temps et une interdiction de ces appareils dans les crèches et les écoles maternelles. Pour le reste c’est de l’information pure et simple comme un pictogramme dans les lieux où il y a la présence de réseau WIFI ou l’affichage du DAS (Débit absorption spécifique) sur les appareils émettant des radiofréquences, rien de bien méchant au final.
En conclusion de ce communiqué on a un petit chantage à l’emploi à peine voilé, comme d’habitude quand on s’attaque à ce genre de sociétés qui n’aime pas trop se voir réguler plus qu’elles ne le voudraient, c’est-à-dire pas du tout. Pourtant ils devraient remercier la majorité qui a enterré la proposition de loi n°531 et a fait en sorte que la suivante soit vraiment moins restrictive et au final n’ayant qu’un impact limité sur le juteux business qu’est la téléphonie mobile.
@+ Jay